Jeudi 20 février 2014 à 21:06
Tous les jours depuis des mois, je me rends dans un petit monde à part, dans la ville et en-dehors, entre fantasme et réalité.
Ce lieu est un peu caché. Je te plante le décor : tu dois marcher un peu, esquiver voitures, vélos, mamies-caniche et maman-poussette-pressée. Tu passes près de la boulangerie dont les odeurs te mettent de bonne humeur. Tu passes devant le bar-pmu toujours plein (le "bar des amis", je fais un peu de pub en passant, qui semble bien porter son nom). Tu passes un portail, tu longes une maison et tu tombes sur une impasse.
L'endroit est là.
Maisonnette, courette, alouette.
Les premiers jours, je n'ai pas trop pris le temps de réfléchir, j'ai fait connaissance, j'ai fait des sorties, j'ai fait des repas, j'ai fait des entretiens, j'ai fait. Enfin j'ai suivi le flot. Mais je me pose enfin (alors que j'ai un mémoire de 50 pages à pondre...).
J'ai envie de vous dire.
Vous dire les gens formidables que je rencontre.
Les petits, les grands, les moches, les beaux, les vieux, les maigres....
Tous.
Je rencontre des enfants. Des enfants fantastiques. Certains me stoppent net, certains me font rire, certains me mettent en colère, certains me font frissonner.
Des enfants qui, quand tu dis "il faut goûter l'eau avant" pour éviter de te brûler, approchent la bouche et la goûtent vraiment.
Je pense à M. qui chante sans cesse, se raconte des histoires fabuleuses ou dramatiques que seule elle-même peut comprendre. Elle est passionnée, elle est entière. Elle est simplement différente de la petite fille que tu peux croiser à la sortie de l'école, au cinéma ou en faisant les boutiques. Parce que tout ça, elle ne peut pas. Enfin, elle pourrait mais c'est dur tu sais. Quand elle ne dit pas un mot, quand elle hurle, quand elle pleure et que tu ne sais pas pourquoi, quand elle court si vite, quand elle se cache n'importe où pourvu qu'on la laisse tranquille, quand elle casse les verres, quand elle arrache, quand elle pousse, quand tu ne sais pas si elle te voie, quand tu ne sais pas si elle t'écoute... Mais. Il faut parfois regarder les gens autrement, pas par leur différence. Mais par ce qu'ils sont vraiment. Par qui ils sont vraiment. Et cette petite, elle m'a bien fait marrer. Elle est réputée pour ses dessins.
Tu sais qu'elle a posé son blaz' sur un des meubles?! En scred'. Avec un ou deux smiley.
Je pense à H. qui m'a pris la main après lui avoir raconté l'histoire de Peter Pan en lui remettant ses chaussures. H. qui en impose : par sa carrure, par sa voix, par ses gestes, par ses extraordinaires ressources nasales dirons-nous. Mais H. qui est un petit garçon perdu, en attente d'un autre endroit plus adapté. H. qui attend, attend, "Attends!" comme il le dit si bien. H. qui en a marre d'attendre et qui le fait savoir.
Je pense à K. qui était venu me toucher tendrement la main le premier jour où je suis arrivée. J'étais un peu paumée, assise sur ma chaise, abasourdie par toutes ces nouvelles têtes, par toutes ces nouvelles informations. K. qui est sensible aux émotions des autres, qui a de l'humour, qui a de la force, qui voudrait voir les chats mais en a peur, elle n'est jamais loin, elle est au courant de ce qu'il se passe, à l'affût. La reporter sans frontière de l'équipe! Et tu sais la joie qu'elle apporte quand elle essaie de répéter le mot CHAU-SSURE, elle qui préfère communiquer autrement que par la parole. Mais quand elle tente, tu vois ses yeux qui pétillent, tu vois son sourire, tu la sens fière, tu voudrais applaudir son courage et ses efforts.
Je lui parlerais de BON-HEUR, peut-être qu'elle essayera.
Je pense à tous les autres. Je pense à leurs chagrins, à leurs bêtises, à leurs rires, à leurs tentatives, à leurs exploits, à leurs épreuves, à leur mutisme, à leurs cris, à leurs danses, à leurs douleurs.
Je pense à leurs parents. A leurs forces. A leurs désirs. A leurs désillusion. Je pense à leurs vies. Si différentes. Leurs vies de combattant souvent, de déserteur parfois. Je voudrais leur dire que j'entends leurs envies, leurs peurs. Mais je suis tellement loin de leur quotidien. Je voudrais que leur situation soit celle de tous les citoyens. Ils sont arrivés là par hasard. Ou pas. Peu importe. Je voudrais qu'ils aient une place. Comme toi.
Que ce petit monde soit un petit peu plus grand.